ces villes qui se sont mises hors jeu

October 2024 · 7 minute read


A partir du 10 juin, l'Europe aura les yeux rivés sur les dix villes françaises où se déroulera l'Euro de football. Dix villes qui ont consenti à des efforts financiers extrêmement importants pour accueillir l'événement, bénéficier - le cas échéant - de retombées économiques et offrir à leur club professionnel un stade neuf ou rénové. Pourtant entre le dépôt de la candidature de la France, en 2009, et la désignation des villes-hôtes, en 2011, d'autres collectivités ont tenté de participer à l'aventure… avant de renoncer.
Avant la décision de l'UEFA, le 28 mai 2010, d'octroyer à la France l'organisation de l'Euro, la lecture du cahier des charges de l'événement provoque des sueurs froides chez les maires intéressés. Jacques Lambert, alors directeur général de la Fédération française de football (FFF), explique que "le cahier des charges de la [Coupe du monde de la] Fifa pour 1998 était d'une vingtaine de pages, pour l'Euro 2016 c'est 500 pages". Ce document de l'UEFA nous apprend que le pays-hôte doit disposer de deux enceintes d'au moins 50.000 places, de trois d'au moins 40.000 places et de quatre d'au moins 30.000 places. L'UEFA entre ensuite dans les détails. Florilège : les sièges doivent avoir une largeur d'au moins 50 centimètres pour le public général et d'au moins 60 centimètres pour les places VIP et les loges ; le nombre de places à hospitalités (VIP et loges) doit être compris entre 8 et 15% de la capacité totale (soit plus du double que pour l'Euro 2012 !) ; chaque vestiaire doit avoir une superficie minimum de 150 m2. Le reste est à l'avenant.

"Il fallait raser le stade et le reconstruire"

En mars 2009, Rennes est tentée d'accueillir l'Euro. Son atout : un stade rénové au fil des ans. Sa faiblesse : 29.000 places (en configuration UEFA) au lieu des 30.000 exigées. Un cabinet d'architecture estime à 36 millions d'euros le coût d'un agrandissement à 34.000 places. La ville se tourne vers l'Etat qui prévoit à l'époque une enveloppe de 150 millions d'euros pour les stades de l'Euro. Le cabinet de Roselyne Bachelot, ministre de la Santé et des Sports, renvoie le maire Daniel Delaveau vers un conseiller technique que, selon ses dires, il n'a "jamais réussi à joindre". Un an plus tard, Sébastien Sémeril, adjoint aux sports de Rennes, revient sur le dossier pour le site du Stade rennais : "Je convaincs le maire, nous y allons, pensant que le cahier des charges était amendable. On fait les études, etc., et à un moment donné le cahier des charges n'est pas amendable. J'ai été écœuré de ce que l'on me demandait. […] Mis bout à bout, il fallait pratiquement raser le stade et le reconstruire."

"Démesure totale"

A Nantes, ville-hôte de l'Euro 1984 et du Mondial 1998, on regardera aussi l'Euro à la télévision. En septembre 2009, le maire Jean-Marc Ayrault annonce que la ville renonce à se porter candidate. "On est dans la démesure totale avec le cahier des charges de l'UEFA", déclare-t-il. Pour le stade de la Beaujoire, la mise aux normes est en effet estimée entre 80 et 100 millions d'euros, soit environ dix fois plus que pour le Mondial 1998. Parmi les travaux exigés : la réfection des vestiaires et l'élargissement des sièges. Comment des vestiaires refaits pour la Coupe du monde de rugby 2007 ne pourraient-ils pas convenir à une équipe de football alors qu'ils convenaient à des rugbymen ?, s'interroge-t-on à Nantes. Quant aux sièges – remplacés en 1998 –, ils avaient une largeur de 47 centimètres, au lieu des 50 centimètres "réglementaires". Il aurait fallu 6 millions d'euros pour les changer. Et Jean-Marc Ayrault de conclure, en mai 2010 : "En tant que maire, je ne regrette pas de ne pas investir 100 millions d'euros comme le demandait l'UEFA dans l'aménagement de la Beaujoire. Demander à la ville, pour deux matches [sic], d'investir une telle somme pour mettre aux normes un stade comme la Beaujoire qui a déjà un excellent niveau, ce n'est pas raisonnable."

L'Euro 2016 n'aura pas l'Alsace et la Lorraine

Après la désignation de la France comme pays-hôte, il est une région, absente de l'organisation en 1998, qui s'est largement manifestée : le Grand Est. En juin 2010, Strasbourg et Nancy figurent dans le dossier de candidature approuvé par l'UEFA... avant de disparaître.
A Strasbourg, les élus locaux sont d'abord prêts à grimper dans le train de l'Euro à n'importe quel prix. En 2009, il est question de construire un Euro Stadium de 45.000 places sur un ensemble commercial de 50 hectares, le tout pour 400 millions d'euros financés par des fonds privés. Mais la mauvaise santé sportive du RC Strasbourg conduit bientôt à imaginer une rénovation du stade de La Meinau : 160 millions d'euros pour bâtir un anneau de tribunes supplémentaires au-dessus du toit existant et porter la capacité de 29.000 à 36.000 places.
Mais l'ambition ne dure guère. A l'été 2010, après le fiasco sud-africain du football français, le maire Roland Ries et le président de la communauté urbaine (CUS) Jacques Bigot annoncent leur renoncement. L'Etat s'est bien engagé à verser 16 millions d'euros, tandis que le conseil général du Bas-Rhin promet 14 millions, mais il reste à la charge de la CUS 130 millions alors que la descente du Racing en National (3e division) rend insoluble l'équation financière d'un tel projet. Les élus se défendent en rappelant qu'ils ont sollicité l'Etat pour un coup de pouce significatif et demandé la possibilité d'amender le cahier des charges de l'UEFA. En vain.

Procédure infructueuse à Nancy

Avec le retrait de Strasbourg, un boulevard s'ouvre pour Nancy, seule ville du Grand Est parmi onze candidates. Sur le papier, le projet nancéien s'annonce bien. Il s'agit d'achever des travaux qui ont permis de refaire trois des quatre tribunes du stade Marcel-Picot pour porter sa capacité à 31.000 places.
Pour réaliser des travaux estimés à 82 millions d'euros, la CU du Grand Nancy est prête à investir 20 millions, qui, ajoutés aux 8 millions de l'Etat, laissent un solde de 54 millions à financer. La CU cherche alors à faire participer le secteur privé. Soit par un partenariat public-privé (PPP), vite écarté, considérant que "ce type de montage [fait] peser l'essentiel de l'effort financier sur la personne publique". Soit via un bail emphytéotique administratif (BEA), qui permet à la personne publique propriétaire d'un bien immobilier de le louer à un tiers, ce dernier pouvant y réaliser des travaux à ses frais et en tirer un revenu. Solution d'autant plus alléchante qu'en 2011, une loi lève fort opportunément l'interdiction faite à une collectivité locale de subventionner des travaux sur les biens confiés au secteur privé dans le cadre de l'Euro 2016.
Mais alors que tout est prêt pour permettre l'arrivée de partenaires privés dans la gestion du stade Marcel-Picot, le rapporteur de la CU estime, le 16 décembre 2011, qu'"il ressort clairement des offres remises [à l'issue d'une procédure de mise en concurrence] que l'équilibre économique de leur opération repose sur un montage juridique et des mécanismes économiques et financiers autres que ceux demandés par le Grand Nancy dans le cadre d'un BEA. […] Les offres des candidats reposent sur le versement de compléments de concours publics pendant la période d'exploitation, apparentant l'opération à un contrat de partenariat dans lequel l'essentiel de l'effort financier serait supporté par le Grand Nancy". A l'unanimité, le conseil communautaire déclare infructueuse la procédure de mise en concurrence en vue de la passation d'un BEA pour la rénovation du stade.

L'ingratitude de l'UEFA

Pour la petite histoire, retenons que les renoncements de Strasbourg et Nancy sont, fin 2011, l'occasion pour Metz de tenter sa chance. Retoqué par la FFF en 2009 – après avoir notamment évoqué la construction d'un nouveau stade pour 120 millions d'euros –, le dossier messin prévoit un agrandissement du stade Saint-Symphorien à 35.000 places pour un investissement compris entre 40 à 45 millions d'euros, dont 10 millions de la ville, 10 millions du département et 8 millions de l'Etat. Mais très vite la facture s'envole pour atteindre 60 millions. Finalement, le maire Dominique Gros pointe le manque de garanties de l'Etat pour se mettre définitivement hors jeu.
Et l'UEFA dans tout cela ? Son président de l'époque, Michel Platini, eut en mars 2012, une déclaration malheureuse à propos du cas rennais. Déclaration qui s'adressait en réalité à l'ensemble des villes qui, un temps candidates, avaient renoncé. "Rennes, ils resteront chez eux. Le cahier des charges n'est pas là par hasard. Nous, à l'UEFA, on n'a rien demandé, c'est la France qui est venue candidater." (1) En l'occurrence, Michel Platini se montrait fort ingrat. L'UEFA ne pourrait organiser ses compétitions, aux normes toujours plus drastiques, sans des Etats et des villes prêts à financer l'intégralité des stades.

Jean Damien Lesay

(1) Ouest France, 19 mars 2012


 

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