Le Havre value les modes de gestion avant de faire ses choix

August 2024 · 11 minute read

Il y deux ans, la ville du Havre (Seine-Maritime, 193.000 habitants, 4.000 agents) engage une réflexion sur le mode de gestion le plus avantageux pour ses parcs de stationnement payants en ouvrage. Le budget annexe de ce service, géré en régie directe, est déficitaire du fait de fortes contraintes techniques qui s'imposent aux constructions en sous-sol dans cette ville portuaire. Faut-il faire le choix d'une délégation de service public (DSP) ou d'un marché public d'exploitation afin de baisser le coût du service ? L'étude comparative entre les différentes solutions, réalisée avec l'aide d'un cabinet externe, conclut au final que la régie directe restait le mode de gestion le plus approprié.

Analyse juridique, financière et organisationnelle

"L'évaluation préalable entre les différents contrats publics possibles est une démarche à laquelle nous procédons régulièrement, notamment pour la gestion de tout nouvel équipement municipal", explique Emmanuel Grandjean, directeur du service Juridique et Marchés de la ville du Havre. Le plus souvent, cette démarche comparative est réalisée en interne : "Nous disposons des structures et des compétences qu'il faut pour mener à bien ces études." La direction Juridique et Marchés et les services Contrôle de gestion et Audit financier sont ainsi à chaque fois mobilisés aux côtés du service pilote concerné. Tous les paramètres sont passés au crible. Pour les services en gestion directe où se pose la question d'une éventuelle externalisation, les perspectives de bénéfices et déficits générés par la nouvelle activité sont croisées avec l'extraction des comptes sur le niveau d'activité actuel. "Les progrès de la comptabilité analytique facilitent la conduite de telles analyses", souligne Emmanuel Grandjean.
Un rapport complet est remis au comité stratégique thématique, composé d'élus et de fonctionnaires qui définit les premières orientations. Le conseil d'adjoints prend ensuite la décision politique du choix opéré. Ce choix sera soumis au vote du conseil municipal, en même temps que la procédure officiellement lancée.

DSP ou régie ? Pas de réponse univoque

La nouvelle équipe municipale élue en 1995 a lancé plusieurs DSP pour la gestion de nouveaux équipements : parc des exposition, salle de sport et de spectacles, casino, café-musique, camping municipal... A chaque fois, sur la base d'une comparaison préalable des différents modes de gestion possibles.
La municipalité se défend de tout a priori en faveur de tel ou tel mode de gestion. La procédure de DSP pour la fourrière municipale a ainsi été déclarée sans suite quand le service des marchés s'est aperçu que les offres des candidats étaient trois fois supérieures aux estimations de la ville: "On s'était trompé dans notre évaluation préalable, nous avons donc repris l'activité en régie directe associé à un marché d'exploitation pour les véhicules de la fourrière." Un audit réalisé récemment sur l'opportunité d'externaliser les pépinières d'entreprises a montré que le mode de gestion actuel en régie directe restait la solution la plus avantageuse. Par ailleurs, suite à des observations de la cour régionale des comptes en 2002, Le Havre a "remunicipalisé" les cantines scolaires et les activités périscolaires qui étaient jusqu'à présent délégués à des gestionnaires privé ou associatif.

"Marquage à la culotte" de l'activité des DSP

Le Havre porte son effort depuis plusieurs années sur le suivi et le contrôle des activités déléguées. Les rapports annuels des délégataires sont chaque fois audités par les services havrais. "On les marque à la culotte !", sourit le directeur du service Juridique et Marchés. La municipalité exige que ses délégataires fassent figurer dans le rapport annuel des indicateurs détaillés pour mesurer le niveau d'activité et la qualité du service. De plus, dès l'avis de publicité, la ville impose systématiquement la création d'une structure locale dédiée à la DSP de façon à bien identifier les flux financiers générés par le délégataire en évitant qu'ils ne soient inclus dans les comptes consolidés du groupe. La ville impose également la mise en place d'un comité de pilotage qui implique les élus et fonctionnaires concernés dans la gestion et le contrôle de la DSP. Cette instance se réunit une à deux fois par an, en cas de problème ou pour analyser le rapport annuel.

Une optique générale : la gestion en amont des risques

"Pour les services gérés en régie, nous effectuons des audits thématiques et chaque mois une activité est passée au crible. Parallèlement, un contrôle en continu des charges est réalisé par le service Contrôle de gestion. Le logiciel comptable nous permet également d'avoir une bonne visibilité des coûts de fonctionnement de toute activité municipale", assure Emmanuel Grandjean. Un choix qui trouve sa place dans une stratégie globale : le programme d'analyse des politiques publiques lancé pour trois ans.  "Le  "benchmarking" (positionnement relatif)  permet d'infléchir, voir de modifier très fortement les orientations et les objectifs assignés aux services. Enfin, toute délibération, toute décision soumise au conseil municipal fait l'objet d'une instruction conjointe avec les services et donne lieu à un double contrôle juridique et financier. C'est tout simplement de la gestion amont des risques et de l'analyse des coûts", conclut Emmanuel Grandjean.

Emmanuelle Yohana, EVS Conseil pour Localtis

"Choisir la solution la plus avantageuse économiquement et assurer un meilleur suivi des DSP"

Damien Studer, directeur de mission au groupe FCL, cabinet de conseil en gestion pour les collectivités locales, souligne l'intérêt d'une évaluation comparative des modes de gestion. Une démarche qui suppose que la collectivité ait défini au préalable le niveau et le type de service public souhaité.

Les collectivités locales ont-elles une pratique habituelle d'évaluation et de comparaison préalable pour choisir le mode de gestion de leurs services publics locaux ?

Au-delà des préférences politiques pour la gestion en régie ou l'externalisation au privé, globalement, dans la pratique, les collectivités locales sont de plus en plus amenées à comparer les opportunités offertes entre les différents modes de gestion, en termes de coûts et en termes de gestion du personnel. Car face à l'augmentation de leurs dépenses et l'obligation d'une gestion de plus en plus fine, elles cherchent à trouver des marges de manoeuvre financières. Par ailleurs, les pouvoirs publics ont pris de plus en plus à bras-le-corps cette question (loi Mazeaud de 1995 et surtout le décret du 14 mars 2005) qui listent un nombre grandissant d'indicateurs à faire figurer obligatoirement dans le rapport annuel du délégataire, pour permettre aux collectivités locales un meilleur suivi en termes de coût et de qualité du service.

Qu'est-ce qui fait généralement pencher la balance pour la gestion en régie directe ou l'externalisation sous forme de délégation de service public (DSP) ?

Il n'y pas de réponse univoque en la matière. Mais généralement, une DSP coûte plus cher qu'une régie car le délégataire privé a des charges théoriques supplémentaires (rémunération de ses fonds propres, exigence de rentabilité, imputation des charges de structure sur la délégation). Une entreprise peut néanmoins faire des propositions commerciales compétitives afin de remporter une DSP, en escomptant des gains de productivité durant la durée de la délégation. D'autres facteurs rentrent en jeu, économiques et politiques. Plus un service public local fait appel à une expertise technique importante qui réclame le recrutement réactif de compétences pointues, plus les élus locaux ont tendance à vouloir déléguer. Certains élus choisissent aussi d'externaliser un service pour s'éviter la difficile gestion de conflits sociaux, même si, dans les faits, les personnels, même sous statut privé, se retournent souvent vers le maire pour porter leurs revendications.

Quels sont les indicateurs à mettre en place pour construire une grille d'analyse comparative objective des modes de gestion ?

Les indicateurs financiers, fiscaux et relatifs à la gestion de personnel sont destinés à une comparaison préalable des coûts estimés entre les différents modes de gestion afin d'orienter - ou bien souvent de conforter - le choix de l'autorité territoriale. Ces indicateurs permettent aussi, par la suite, d'analyser, de choisir et de négocier la meilleure offre parmi les entreprises soumissionnaires en cas de lancement d'une procédure de DSP. Car la collectivité peut comparer les hypothèses de calcul des charges et recettes d'exploitation présentées par les candidats sur la base du compte d'exploitation prévisionnel qu'elle a elle-même élaboré. Enfin, les indicateurs de contrôle de l'activité du délégataire, qui doivent figurer dans son rapport annuel, permettent notamment de mesurer la satisfaction des usagers et d'évaluer le tarif du service proposé par rapport aux recettes encaissées, aux charges réelles de l'entreprise et au nombre d'utilisateurs.

Quel est le premier conseil que vous donneriez à une collectivité locale qui souhaite engager une démarche d'évaluation préalable des différents modes de gestion ?

Il faut avant tout que la collectivité sache ce qu'elle veut ! Avant de comparer les modes de gestion, elle doit d'abord s'interroger sur le niveau de service qu'elle souhaite offrir et sur la manière dont elle voit dans les années à venir l'évolution de ce service et des équipements correspondants. Par exemple, s'agissant d'un parc de stationnement : s'inscrit-il dans une logique d'aménagement urbain, de dynamisation commerciale du centre-ville, d'incitation à l'utilisation des transports en commun ? Souhaite-t-on privilégier un stationnement payant ou gratuit ? Sur quelles plages d'ouverture ? C'est en fonction de la définition de sa stratégie politique que la collectivité peut alors appréhender la meilleure manière de parvenir à un équilibre du service en fonction des recettes et des charges propres à tel ou tel mode de gestion.

Propositions pour mieux comparer les modes de gestion

Dans un récent rapport, l'Institut de la gestion déléguée (IGD) plaide pour une approche comparative - et même compétitive - des différents modes de gestion des services publics locaux pour guider objectivement les décideurs locaux dans le choix de la solution la plus efficiente.

Rien, ni dans le droit français ni dans le droit européen, n'oblige les collectivités publiques à mettre en concurrence les différents modes de gestion ni même à justifier le choix de tel mode de gestion plutôt qu'un autre. Sauf dans le cas du contrat de partenariat qui prévoit une évaluation préalable de ses avantages comparatifs pour pouvoir y recourir. L'IGD (Institut de la gestion déléguée) souhaite justement que cette démarche soit étendue aux autres modes d'exécution des services publics. Son rapport d'avril 2005 sur l'harmonisation des conditions de concurrence entre modes de gestion expose ainsi les différentions existantes (notamment fiscales) entre régie directe et gestion déléguée. L'IGD émet un certain nombre de propositions d'harmonisation :
- permettre la comparaison, avec l'objectif que soit présenté un compte de gestion du service élaboré selon les mêmes principes et comportant les mêmes rubriques ;
- inciter à l'évaluation, à la comparaison et à la compétition, en développant l'utilisation d'indicateurs de performance et en motivant le choix du mode de gestion ;
- faciliter l'exercice effectif d'un choix, en évoluant vers des régies dotées de l'autonomie financière et en leur transposant la notion de cahier des charges ;
- favoriser la fluidité du choix, en apportant des garanties en cas de transfert de personnels et en soumettant à la TVA le transfert des biens résultant du changement d'exploitant ;
- supprimer certaines différences injustifiées dans les charges et recettes (taxe professionnelle, impôt foncier, règles comptables et fiscales de l'amortissement, redevances d'occupation du domaine public, cotisations sociales, droit aux subventions?) ;
- supprimer les inégalités injustifiées tenant aux procédures, en étendant par exemple l'obligation de rapport annuel demandé aux Sem et DSP aux autres modes de gestion et en uniformisant les seuils de mise en concurrence pour les DSP par rapport à ceux des marchés publics.

Gestion directe ou déléguée : les critères du choix des communes et de leurs groupements

L'Institut de la gestion déléguée (IGD) a réalisé en 2004 une enquête auprès des responsables communaux et intercommunaux en vue de connaître les raisons motivant leur choix en matière de mode de gestion des services publics locaux*.

La gestion déléguée recueille une majorité d'avis favorables pour le stationnement en ouvrage, le chauffage urbain, les transports urbains, la distribution d'eau potable, l'incinération des déchets. La gestion directe est plus généralement préférée pour la collecte des déchets, la restauration collective, le stationnement sur voirie. Les services de traitement des eaux usées et les pompes funèbres font l'objet d'un avis partagé ou indifférent entre les deux modes de gestion.
Parmi les principales raisons avancées par les responsables locaux pour choisir de gérer en régie un service : la possibilité d'entretenir une relation directe avec les usagers, les aspects budgétaires et la possibilité de mettre en place un tarif social.
Les critères qui influencent le plus le choix de la gestion déléguée d'un service sont les contraintes et obligations relevant de la gestion du personnel, les moyens humains et matériels que mobilisent à la fois le fonctionnement et le contrôle du service, le degré de technicité d'un service, l'impact sur l'endettement, la réalisation et la gestion des investissements, les problèmes de sécurité des personnes et la responsabilité juridique de la collectivité.

* Sur les 169 collectivités interrogées représentant un total de 20 millions d'habitants, près de 50% ont répondu à cette enquête.

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