Un nouveau plan pour transformer les zones commerciales

September 2024 · 5 minute read


Soixante ans après la création du premier hypermarché Carrefour à Sainte-Geneviève-des-Bois, le constat est sans appel : les entrées de ville ont été saccagées par des zones commerciales à perte de vue. Succession de "boîtes à chaussures" sans âme, représentant autant d'enseignes de bricolage, de literie, de meuble, de sport, construites sur l'autel des petits prix, des délocalisations, de la désindustrialisation... On en dénombre aujourd'hui plus de 1.500 à travers la France, pour 500 millions de m2, pris souvent sur de bonnes terres agricoles. Cinq fois la taille de Paris. Elles sont "l'incarnation du XXe siècle", "celui de la consommation de masse, automobile pour tous, le pavillon pour chacun…"  Il est désormais temps d'"anticiper leur transformation à l'horizon des soixante prochaines années".

C'est le défi qu'a lancé la ministre déléguée chargée des PME, du Commerce, de l'Artisanat et du Tourisme, Olivia Grégoire, en présentant, ce lundi 11 septembre, à Bercy, un grand plan de "transformation des zones commerciales", aux côtés de Christophe Béchu (Transition écologique et Cohésion des Territoires) et Patrice Vergriete (Logement). Et de rappeler que les entrées de ville concentrent aujourd'hui 72% de la consommation des Français (bien plus que chez les voisins, notamment l'Allemagne où les parts de marché entre les différents types de commerce sont bien plus équilibrées). "Les supprimer ne serait ni faisable ni souhaitable. Il faut donc les réinventer", a insisté la ministre, invitant à ne "pas émettre de jugement de valeurs", comme a pu le faire l'expression "France moche" qui a fait florès. Autrefois "eldorado", ces zones sont confrontées à de nombreux enjeux économiques, sociaux et environnementaux. Leurs bâtiments sont souvent des "passoires thermiques" et vont notamment devoir se conformer au "décret tertiaire" qui impose de réduire la consommation énergétique de 40% d'ici à 2030 et de 60% en 2050…

Des crédits débloqués avant la fin de l'année

Pour enclencher ces mutations, le gouvernement lance un appel à manifestation d'intérêt doté de 24 millions d'euros pour retenir une vingtaine de "projets pilotes". De quoi financer des études de préfiguration (75.000 euros par projet), de l'accompagnement technique, comme le financement de postes de chef de projet (là encore à hauteur de 75.000 euros), et, parfois, une partie du déficit d'opération commerciale pour quelques territoires en déprise.

Le virage a déjà été pris avec la deuxième phase du plan de revitalisation des villes moyennes Action cœur de ville lancée en février (voir notre article du 20 février 2023) qui, comme l'a souhaité le président de la République, se donne pour nouvelle priorité le traitement des entrées de ville et des quartiers de gare, la renaturation et la sobriété foncière. Dans ce cadre, la Banque des Territoires se propose d'accompagner en ingénierie une trentaine de villes pour travailler sur les entrées de ville. Mais avec ce nouveau plan, aucune strate n'est déterminée. De la petite centralité à la métropole, toutes les collectivités peuvent se positionner. Et les crédits seront cumulables avec d'autres aides du Fonds vert (via le Fonds friches), d'Action cœur de ville ou de Petites villes de demain…

Les lauréats seront désignés en deux vagues :  novembre 2023 pour les agglomérations qui ont déjà des projets bien avancés et début 2024 pour donner plus de temps aux autres. Dès ce mardi 12 septembre, les préfets seront "invités à recenser partout les zones commerciales qui ont le plus besoin de transformation", a indiqué Christophe Béchu, précisant que la phase de diagnostic devrait être achevée avant le 1er janvier et les crédits "débloquables" avant la fin de l'année. Déjà, des villes comme Barentin (la ville du président de l'Association des petites villes de France et de l'ANCT Christophe Bouillon), Grasse, Limoges, Le Havre ou Angers sont pressenties. D'ailleurs, en duplex depuis son bureau, le maire du Havre Edouard Philippe a pu partager les résultats de la politique menée depuis quelques années chez lui : installation de nombreux équipements publics dans une friche commerciale, d'une bibliothèque et même d'un théâtre. Il s'agit de "faire rentrer le temps chez les marchands", a-t-il déclaré.

C'est bien ce qu'entend recréer le gouvernement : apporter de la mixité, des logements, des bureaux, des équipements, renaturer les parkings… "Les zones commerciales ne sont pas un problème, elles constituent une partie de la solution de l'aménagement de demain", veut croire Olivia Grégoire. Et à l'heure du zéro artificialisation nette (ZAN), "ces espaces déjà artificialisés peuvent devenir des réservoirs de projets", a souligné Christophe Béchu.

"Lever les obstacles"

Au-delà des crédits mis sur la table, une "task force d'Etat" (pilotée conjointement par la DGE et l'ANCT) va être installée pour soutenir les candidats sur le plan juridique et technique, "lever les obstacles", a indiqué la ministre. Et le projet de loi Industrie verte qui va parachever son parcours législatif cet automne comporte plusieurs avancées dans ce sens, notamment à travers les grandes opérations d'urbanisme, qui permettront de raccourcir nettement les délais. Une autre disposition supprimera la nécessité de demander une nouvelle autorisation d'exploitation commerciale pour les projets de transformation mêlant du commerce, des services, du logement…

Pour Alain Chrétien, vice-président de l'Association des maires de France (AMF), il est important que "tout le monde s'empare de cette politique dans les territoires". Mais il soulève "quelques points de vigilance". "Attention à ne pas opposer" les périphéries et les centres-villes. "Cette politique ne doit absolument pas affaiblir les centres-villes ou Action cœur de ville", a-t-il clamé. Attention aussi aux effets d'aubaine ou aux effets d'éviction. "Il ne faut pas que les finances publiques servent à résoudre des problèmes d'intérêt privé", a-t-il souligné. Enfin, le maire de Vesoul appelle les régions à se mobiliser pour la constitution de foncières qui aujourd'hui ne couvrent pas tout le territoire.

Pour Intercommunalités de France, cet objectif de transformation des zones commerciales ne doit pas être dissocié de celui de la réindustrialisation, avec la nécessité de trouver des terrains pour implanter des usines. Pour l'association, le montant du plan "apparaît modeste au regard des enjeux". Elle propose de créer un fonds "friches commerciales", de réformer la taxe sur les friches commerciales "pour inciter une reconversion des sites visés" ou encore de généraliser les PLUI. Elle précise qu'elle présentera "dans quelques semaines" une étude "Pour un commerce durable et accessible" détaillant ses propositions.  

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